Monsieur le Ministre,
Le Comité technique ministériel est toujours un rendez-vous important du dialogue social et de la démocratie sociale mais cette séance téléphonée n’est pas une séance comme les autres. En France à ce jour, l’épidémie de coronavirus a fait plus de 25 000 victimes dont 9375 dans les EHPAD, et c’est sans compter hélas les décès à domicile dont le chiffre reste encore inconnu.
Ce virus a tué et, chaque jour qui passe, il continue à tuer et à frapper notamment les plus vulnérables et les plus démunis d’entre nous. Qu’il nous soit permis dans cette épreuve d’avoir une pensée émue pour les personnes disparues et pour leurs familles, seules face au deuil.
Comment alors oublier les propos irresponsables de plusieurs membres du gouvernement qui, en février et encore en mars, tendaient à minimiser la gravité de la situation en faisant courir à la population et aux travailleurs en particulier des risques considérables.
La crise sanitaire, sociale et économique que traverse notre pays est l’une des plus terribles de notre histoire contemporaine. C’est pourquoi, nos organisations syndicales ont fait le choix résolu de l’unité. C’était la seule voie possible en effet pour affirmer avec force et sans relâche et surtout convaincre que la santé sanitaire et sociale des personnels doit passer avant toute autre considération.
Partagez-vous, Monsieur le Ministre, cette priorité absolue portée par l’intersyndicale de la protection des agents et salariés du ministère, en administration centrale, dans les SCN, les DRAC et DAC mais aussi les quelque 81 établissements publics répartis sur l’ensemble du territoire ?
C’est la question directe et essentielle que nous sommes en droit de vous poser au regard de la gestion calamiteuse de cette crise par un gouvernement usant et abusant de la stratégie de déresponsabilisation de l’État.
Non, Monsieur le Ministre, à quelques jours de la date du déconfinement décidée par le Président de la République, le gouvernement auquel vous appartenez ne peut pas continuer à se défausser en renvoyant la responsabilité des décisions et de leurs conséquences aux élus locaux pour une part, et pour l’autre à celle des individus, c’est-à-dire à chacune et chacun d’entre nous – comme livrés à nous-mêmes.
Gouverner c’est prévoir mais c’est aussi assumer ses responsabilités et a fortiori quand la tempête gronde.
La cacophonie constatée depuis le début de cette crise et pendant toute la durée du confinement pourrait amplifier encore l’ampleur du drame que nous vivons si rien ne changeait avant le 11 mai.
Verrons-nous l’émergence, vraiment, d’un monde d’après, d’une alternative heureuse à la course à l’abîme où nous conduit tout droit le modèle libéral ? Rien n’est moins sûr.
Au début de l’année encore, nous nous battions pour que le ministère change de paradigme et prenne enfin le virage du 21e siècle que nous appelions de nos vœux bien avant votre arrivée. Ce changement radical mais vital verra-t-il le jour ? Rien n’est moins sûr.
La seule chose certaine, pour le moment, c’est que notre monde est profondément malade.
Nos dirigeants et nos élites, comme on le dit parfois, toujours prompts à donner des leçons à la terre entière ont multiplié les déclarations mensongères sur les masques et les tests sur la foi d’une doctrine excessivement retorse : ce qui fait défaut n’est pas indispensable.
La gestion par la pénurie et par l’abandon de nos souverainetés est-elle-aussi à l’origine de recommandations hasardeuses, d’injonctions contradictoires, d’atermoiements et d’errements très nombreux ? Il y a tout lieu de le penser. Reste que la confiance de nos concitoyens et des travailleurs est rompue.
Voilà en tous cas le contexte général dans lequel notre ministère et ses agents doivent affronter cette crise inédite et son cortège de difficultés et d’angoisses.
Ce satané virus est très dangereux, plus personne n’en doute désormais, mais il n’est cependant pas responsable de tous nos maux, loin s’en faut. Nous n’avons pas attendu cette épidémie, Monsieur le Ministre, vous le savez pertinemment, pour vous alerter à moultes reprises quant aux dysfonctionnements graves et systémiques qui affaiblissent ce ministère. Ces travers et ces manquements, nous les payons cash aujourd’hui.
C’est vrai en matière d’organisation du travail, de télétravail et d’équipements informatiques. C’est vrai en matière de conditions de travail. C’est vrai en matière de politiques RH et d’anticipation, de prévention et de gestion des risques, et d’action sociale. C’est vrai aussi en matière de dialogue social.
Le coronavirus est le révélateur et l’amplificateur cruel de nos défaillances et insuffisances. Les inégalités sociales et les discriminations dans le travail et par le travail nous sautent à la figure. Le voile est levé pour de bon sur l’état de délabrement de nos services publics et des attributs institutionnels d’une société démocratique et solidaire en panne.
La crise économique, qui ne fait que commencer, est au moins aussi redoutable que la crise sanitaire. Elle frappe de plein fouet tout l’écosystème de la culture et son économie fragile. Elle jette une lumière froide sur l’inconséquence des modèles culturels et économiques imposés à nos établissements publics ces dernières années sous le joug du dogme libéral, de la marchandisation et de la dérégulation généralisée.
Votre responsabilité politique est donc doublement engagée : sur la santé sanitaire et sociale des agents ; sur la pérennité des activités culturelles et de tous leurs emplois.
L’heure est grave. Cela nécessiterait un dialogue social de très haute qualité, franc, sincère et loyal. Il faudrait de toute urgence changer de braquet en opérant, n’ayons pas peur des mots, une petite révolution démocratique, mais pour le moment, vous n’y êtes pas.
Pourquoi ne serions-nous pas capables dans ce ministère d’établir par la négociation au plus haut niveau un guide protégeant impérativement et partout les agents, et par conséquent leurs familles, contre le risque de contagion. Pourquoi ne serions-nous pas capables d’établir un tel document de référence opposable à toutes les entités du ministère, à Paris comme en régions. Pourquoi ?
Alors que nous n’avons toujours aucune assurance que les équipements de protection sanitaire et notamment les masques dûment homologués parviennent à tous les agents, partout au ministère, notamment chez ses opérateurs, alors que nous ne connaissons toujours pas le nombre d’agents potentiellement concernés par un retour en poste en présentiel, et tandis que le bilan de l’épidémie au ministère reste une inconnue, il est urgent et impératif que le dialogue social soit lui-aussi déconfiné.
Vous vous refusez à ouvrir une négociation digne ce nom sur les conditions du déconfinement dans toute leur complétude, et vous en assumerez l’entière responsabilité. Ce ne sera pas faute de vous avoir sollicité et prévenu, et de longue date.
Pour sa part, l’intersyndicale a fait de la santé et de la protection de chacune et de chacun une priorité intangible et elle n’y dérogera pas quoi qu’il advienne.
Paris, Metz, Mantes, Amiens, Chelles, Ajaccio le 5 mai 2020